L'HOMME QUI CRIE

Publié le par jerôme B

1954. Je m'en souviens fort bien: les hivers étaient plus noirs qu'aujourd'hui et étant plus noirs, ils étaient plus froids. Moins de lumière dans les villes et presque pas dans les campagnes. on se contentait de peu. Mais déjà, des gens devaient se contenter de rien. Rien pour manger, rien pour chauffer son corps, rien pour chauffer son coeur. Dans cette nuit glacée, la voix d'un homme; C'est un abbé. En soutane, ample cape et béret. Il se nomme Pierre. Il crie qu'on meurt de froid et une radio d'abord (Radio Luxembourg devenue RTL), mais aussi la télévision naissante, font écho  à son appel. Cela résonne partout, cela s'amplifie. Savez-vous qu'en cette époque lointaine, les enfants lisaient encore "La petite fille aux allumettes" d'Andersen et qu'ils pouvaient comprendre ce que c'était que mourir de froid ? On se sent concerné, on se mobilise. On donne de l'argent. On construit les "cités d'urgence". Et les "sans abri" trouvent un abri. La solidarité prend un sens.

Aujourd'hui, c'est la puissante lumière des villes, et même  celle plus discrète des campagnes, et celle aveuglante des médias, qui révèlent  la misère et  dénoncent que l'on meurt de froid dans l'environnement ostentatoire de l'abondance. La lumière est plus vive. mais rien'a changé et il ne fait pas plus chaud dans les rues. Les pauvres ont succédé aux pauvres, les exclus aux exclus. Et l'abbé n'a pas cessé de crier. D'autres lui ont emboîté le pas. Pour dire que l'on ne peut pas accepter que nos semblables ne soient plus nos semblables. Pour les ramener à la vie et à la dignité des Hommes.

Enfant, je croyais qu'Emmaüs était un homme, un personnage biblique. Mais non. C'est un village, non loin de Jérusalem. Deux disciples de Jésus s'y rendent le troisième jour d'après la crucifixion, alors que leur Maître est résuscité, pour une rencontre et un repas impromptus avec Lui. Ainsi dit la Bible. Ce village du témoignage et de l'espoir, l'abbé Pierre a réussi à le construire parmi nous, dans notre pays et à travers le monde entier. C'est aussi le village du retour à la vie, de la reconnaissance de l'humanité qui vit en chacun d'entre nous.

Pierre avait compris cela. Abbé et homme - homme de tous les combats -, il a mêlé le sens de sa mission religieuse à la pure charité laïque. Chacun a pu se reconnaître en lui et partager toute les dimensions de sa foi. En ce sens, il a marqué son temps et prend sa place parmi les figures exemplaires de notre histoire.

Pierre a pris de "grande vacances", comme il s'amusait à dire en parlant de sa mort.

Comme tant d'autres ce soir, je vous salue avec respect, monsieur l'abbé, et vous dis au revoir.

Publié dans HUMEUR DU JOUR

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