HAUTE COUTURE

Publié le par jerôme B

Le Monde du 25 janvier 2008, page 26.

undefinedphoto Paolo Woods pour Le Monde

Que porte-t-il, enserré dans son bras droit Valentino? Un manequin, certes. mais en plâtre? En celluloïd? Un de ceux qui, figés, peuplent les vitrines des "Grands Magasins"? Ou bien un manequin de chair et d'os, comme ceux qui défilent sur les podiums des "Grands Couturiers"? La couleur de la carnation, les reliefs du squelette (maigreur oblige) nous donnent la réponse. il paraît que la robe est celle que porta Audrey Hepburn en 1968. Mais où est donc la piquante frimousse de celle qui interpréta My Fair Lady? Glamour à souhait, le manequin, oui mais froid, sans émotion.Valentino, lui, arbore un sourire résigné et un peu triste (il s'agit d'un "adieu"). Enlace-t-il sa voisine? La porte-t-il?  Ce qui ressemble à un déhanchement pourrait le laisser penser. Où bien est-ce la figure d'une danse aérienne et un peu triste? Laissons les personnages et intéressons-nous au décor.  Intérieur nuit dirait-on au cinéma. Il s'agit, nous dit la légende de la photo, d'un salon d'apparat de la place Vendôme. J'aperçois des moulures au plafond, un miroir au cadre travaillé qui reflète la robe de notre manequin (mais vraiment, est-ce bien SA robe?) et les lustres illuminés. J'aperçois l'amorce d'une silhouette masculine qu'escamote Valentino. Mais l'éclairagiste a bien fait les choses. Comme au théâtre ou au cinéma, la lumière transfigure les choses. Un projecteur plonge sur le sujet à contre jour. Merveilleuse idée qui met en valeur la légèreté vaporeuse du tissu, les motifs végétaux qui, sinueux, l'animent, les couleurs dorées, ocrées, brunes ou pourpres qui, fondues et interpénétrées, suivent les savantes découpes du tissu et font de la tête du manequin, le support d'une inflorescence radieuse. Valentino, lui (sobriété, discrétion, modestie?), porte une veste banale, une chemise banale, une cravate banale, qui rehaussent l'éclat de la voluptueuse et fantasque parure féminine.
Enfin, contrepoint magnifique à ces couleurs chaudes et spectaculaires, la fenêtre côté jardin, laisse passer la lumière du soir qui tombe, d'un bleu profond, tache froide qui trouve un écho dans la chemise bleu pâle de Valentino.
Le moment des adieux... Toute sa mélancolie est contenue dans la photo. Sur le visage vaguement attristé de Valentino, dans le visage que fige un rictus de circonstance de son manequin, portant le passé sans pouvoir le faire revivre, dans la confrontation des feux du spectacle, de la puissance violente et éblouissante de l'instant présent, avec le temps qui passe:  le jour qui baisse, la nuit qui vient. Avec ce miroir qui  montre les gens de dos, amorce de l'image que nous avons de ceux qui partent et laissent leur passé derrière eux...
Sophistication et simplicité se confrontent ici comme pourraient le faire l'illusion et la réalité. Le regard perdu de Valentino exprime-t-il, au bout du compte, la conscience de l'ambivalence de son art ?

Publié dans LES IMAGES DU "MONDE"

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